Séminaire #2 Robotics by Design Lab pour Korian et la Fondation Korian pour le bien vieillir: La robotique Sociale au service des Écologies du Grand âge

 

La deuxième édition du séminaire autour de la recherche en design et en robotique sociale au sein du groupe Korian a été menée le 14 octobre 2021 à l’espace Koeur, au siège parisien de Korian. Organisé par la Fondation Korian pour le Bien-Vieillir, Korian Solutions et le Robotics by Design Lab, partenaire scientifique de Korian, ce séminaire s’est situé dans la lignée du premier, qui questionnait l’exploration des nouvelles technologies chez Korian. L'équipe organisatrice a partagé dans cette deuxième rencontre la connaissance acquise sur le terrain en six mois de recherche-projet pour continuer de co-construire, avec des collaborateurs et collaboratrices issu.e.s de toutes directions et expertises, l’histoire de la robotique chez Korian et dans ses établissements de soins aux personnes âgées.

Ce deuxième séminaire a porté son regard sur les imaginaires, représentations et attentes des salarié.e.s Korian, siège ou établissements, résident.e.s, patient.e.s ou proches, vis-à-vis de la robotique sociale et de son rôle futur dans les écologies du grand âge

 
 

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La première partie du séminaire a consisté en un point d’étape sur le projet de robotique sociale expérimentale actuellement mené en établissements Korian.

Après une brève introduction d’Aude Letty, déléguée générale de la Fondation Korian, Ioana Ocnarescu, directrice de la recherche à Strate Ecole de Design et responsable du RbD Lab, a présenté le rôle du design dans la recherche. Si ce dernier est de plus en plus assimilé dans les organisations pour participer au travail sur la forme et les usages des produits, l’imaginaire et l’expérience des personnes les utilisant ou évoluant dans le même environnement, il n’y est pas pour autant circonscrit. Aujourd’hui, le design s’intéresse, au-delà de l’usage, à modéliser des écosystèmes du vivre-ensemble, pour comprendre et montrer les impacts de ces produits - ici, les technologies robotiques - sur la vie des personnes et leurs implications à long terme.

La méthode adoptée dans le contexte de la thèse de doctorat menée par Nawelle Zaidi dans le cadre du Robotics by Design Lab avec Korian, La Fondation Korian, l’Université de Nîmes et Strate est celle de la recherche-projet (Findeli, 2015)[1]. Non seulement le projet de design vise à co-concevoir ou à faire évoluer des artefacts robotiques au sein des établissements du grand âge (maison de retraite, clinique gériatrique...), mais il permet aussi de produire les objets intermédiaires nécessaires à la construction des hypothèses de recherche. Cette recherche s'appuie également sur d’autres outils méthodologiques issues des Sciences Humaines et Sociales : une enquête terrain est menée à travers des questionnaires, focus groups, entretiens individuels et collectifs, en plus de la mise en place d’ateliers d’idéations prospectifs (suivant les méthodes du co-design et du design fiction) avec le personnel d’établissement, les patient.e.s, résident.e.s et leurs proches.

L’objectif de cette première étape de recherche présentée lors du séminaire a été la collecte de retours libres concernant les impressions, attentes, expériences anticipées avec la robotique sociale et la co-construction des premiers scenarii d’usage, réalisée avec les acteurs et actrices de la vie des établissements, les industriels de la robotique et les designers. Ces données ont été collectées à l’occasion de plusieurs temps d’échange, dont : 

  • des démonstrations des différents robots sociaux du marché avec le personnel d’établissement, CODIR et équipes soignantes, qui ont provoqué des discussions informelles riches en apprentissages sur les différentes perceptions,

  • des ateliers d’idéation à l’aide d’outils de design et des cartes de jeu pensées comme des guides de créativité pour formuler des idées et scènes de vie avec les robots.

Ces enquêtes terrain sous plusieurs formats ont permis de constituer un corpus de données hétérogènes conséquent, composé de notes, d’enregistrements audio et de transcriptions de plusieurs moments (observations, entretiens, focus groups et ateliers), mais aussi du matériel et des supports conçus par les participant.e.s lors des différents ateliers. Une première analyse de ce corpus a permis d’abord de mettre en avant l’importance de la perception et la multiplicité des représentations de la robotique sociale pour les futurs utilisateurs et utilisatrices et leurs impacts sur le projet, puis d’intégrer ces variables comme objet d’étude spécifique pour la suite de la recherche.

La présentation des ces travaux a permis d’initier un débat entre les participant.e.s et a donné lieu à de multiples questions, parmi lesquelles : quelles formes et apparences de robots seraient les plus adaptées pour faciliter l’interaction avec leurs utilisateurs en maisons de retraite ? Dans quelle mesure l’apparence du robot est-elle un facteur déterminant dans le rejet dont il fait parfois l’objet ? Qu’est-ce qui caractérise une tâche ingrate que pourrait exécuter le robot, selon le personnel soignant ? Est-il vraiment préférable de déléguer au robot toutes les tâches perçues comme ingrates, même si elles peuvent apporter une valeur ajoutée lorsqu'elles sont réalisées par des êtres humains ? Quelle est l’importance des éléments de langage utilisés lors de la présentation du projet robotique dans l’appropriation de ces robots ?

Bien que certains éléments de réponse puissent émerger du terrain, il est trop tôt à ce stade pour en faire des généralités ; ces questionnements seront donc pleinement investis pendant les futures phases de recherche.

 
 

Pour clôturer cette première partie du séminaire, Charlène Majeux, designer d’interaction, a présenté une démonstration du robot Pepper développé selon un scénario précis d’interaction, information et stimulation des résident.e.s, entièrement co-développé avec les acteurs et actrices du terrain. Aujourd’hui, le robot Pepper développé n’a pas encore été expérimenté dans les établissements. Sa mise en place prochaine dans le quotidien de l’EHPAD Korian Villa Saint Antoine fournira de nouveaux résultats portés sur l’interaction humains-robots et ses impacts sur le reste des interactions inhérentes aux établissements de soin.

En deuxième partie de séminaire, les participant.e.s ont été invité.e.s à se projeter dans une expérience immersive du Korian du Futur, inspirée par des outils de design fiction.

Ioana Ocnarescu a introduit cette deuxième partie par une première définition du design fiction, ou design spéculatif, et son rôle dans la recherche en design. Terme apparu au début du XXIème siècle, ce champ du design propose de créer des artefacts fictifs, extrapolés depuis une réalité technologique actuelle, pour questionner notre rapport au monde et provoquer le débat sur les “futurs préférables”.

Pour introduire ce concept, Ioana a présenté le “cône des futurs”, un outil imaginé par des chercheurs à partir des années 1970 [2] par la Fondation Nesta (UK) qui classe les futurs en fonction des perspectives disciplinaires.

Ainsi, l’ensemble des “futurs possibles”, largement imaginés par les écrivain.e.s et artistes d’anticipation, sont des imaginaires dans lesquels notre imaginaire est entraîné à se projeter notamment grâce aux œuvres de science-fiction.

Au sein de ces derniers, les “futurs probables” sont des explorations extrapolées des tendances actuelles, et relatent des situations susceptibles de se produire. Les “futurs plausibles” sont quant à eux modélisés à partir de lois physiques : ce sont des projections légitimées par les connaissances scientifiques.

Enfin, les “futurs préférables”, matière de production propre aux designers et largement basés sur des aspects émotionnels, sont des scenarii utilisés pour se questionner et envisager de plusieurs manières un monde désirable et enchanter le quotidien.

Dans ce cadre, l’atelier de design fiction a tout d’abord consisté pour les participant.e.s à partager leur ressenti et projections autour de la robotique sociale en établissements. Parmi un large choix d’illustrations métaphoriques (se basant sur les cartes du jeu Dixit), ils et elles ont été invité.e.s à sélectionner celles qui les interpellaient le plus au regard de ce thème, et expliquer en quoi cela représenterait le futur proche d’une écologie du grand âge liée à la robotique sociale.

Il est intéressant de noter de prime abord que toutes les cartes choisies ont été différentes. Il est important de souligner, pour mieux contextualiser ces propositions,  la diversité des expertises des participant.e.s : direction médicale, ingénierie d’outils digitaux, innovation, recherche en santé ou même marketing. L’analyse des narrations émanant du choix des différentes cartes met en évidence plusieurs discours récurrents autour de la robotique sociale. :

  • La perception de plusieurs bénéfices fonctionnels et expérientiels pour les personnes âgées : le robot est vu comme un ami, bienveillant, protecteur, rassurant (“une solitude sereine grâce à la techno”), à qui on fait confiance et qui peut accompagner pour les situations et les tâches complexes (“permet de naviguer dans des eaux troubles”), et qui incarne un support pour les métiers amenés à s’occuper de ces personnes, en les soulageant d’une partie de la charge mentale,

  • En même temps, la constatation d’une ambivalence de statut : des limites et des dangers à ne pas négliger quant à la question du contrôle et de la liberté des utilisateurs et utilisatrices de la robotique, une nature oscillant entre la promesse de meilleures conditions de vie tout en étant un nouvel élément inconnu et incertain, voire inquiétant, ayant un versant caché qui appelle à la vigilance,

  • La crainte d’un outil clivant et limité, auquel il est nécessaire de s’adapter pour pouvoir l’utiliser, peu accessible de nature, qui demande un effort et des clés d’utilisation et qui différencie les générations, et qui présente pourtant des limites dans ses usages en ne laissant que peu de place à l’imprévu et en forçant à suivre un chemin précis (idée sous-jacente de la programmation),

Enfin, la généralisation en un phénomène technologique qui se démarque, qui interpelle, perçu comme une opportunité à saisir (“il faut sauter !”), dont tout le monde parle mais dont personne ne se saisit réellement.

Les interprétations des participant.e.s sont donc un mélange subtil entre des représentations actuelles de la robotique et des projections sur un idéal que pourrait apporter ces technologies ; entre ces deux imaginaires temporels, on observe un clivage marqué, un fossé entre un présent limité et un avenir empli de promesses et d’incertitudes.

Par la suite, les participant.e.s ont été amené.e.s à se projeter dans un futur plus lointain, celui des années 2300. Dans ce futur, l’entreprise Korian est pensée comme une organisation à la tête du marché mondial, voire universel, de l’accompagnement des personnes âgées qui constitueront plus de la moitié de la population mondiale. Dans ce contexte, les collaborateurs et collaboratrices sont leur propre projection future et œuvrent pour la pérennisation de l’organisation. En partant de ce cadre, une discussion a été ouverte entre les participant.e.s pour sonder leurs imaginaires utopiques ou dystopiques en fonction de leur vision de l’humanité future et de sa cohabitation avec les technologies de pointe.


Cet atelier montre que même si on polarise les discussions en partant de la question de la robotique sociale pour le grand âge, les projections se focalisent rapidement sur la redéfinition de la place des soignants, de leurs rôles dans cet écosystème et de l’évolution des métiers du grand âge. Ainsi les scénarii imaginés abordent l’évolution des structures d’accueil autant en tant que lieux de vie qu’en termes de services. Les participant.e.s ont imaginé de nouvelles sortes d’EHPAD hors les murs, qui permettraient aux personnes âgées d’être accompagnées sur une période plus longue et sur davantage d’activités (notamment grâce à des parcours hybrides entre différentes typologies de lieux et d’objets). Évidemment, les contraintes liées aux limites des ressources énergétiques ont été relevées pour questionner la souhaitabilité du développement technologique.

Cet atelier a constitué une mise en mouvement par des outils de la démarche design pour questionner les modes organisationnels. Dans la lignée de la vision du laboratoire commun Robotics by Design Lab, la robotique est un prétexte pour se poser les questions permettant de définir les écologies du grand âge du futur : qui les composera et dans quelle mesure vont-elles s’adapter à un environnement complexe en changement permanent ? La question pour Korian devient alors la suivante : comment la robotique peut-elle incarner un outil de projection dans le futur de l’organisation, un activateur d’imaginaires et d’anticipation, pour penser de nouveaux modes de vivre-ensemble et de nouveaux métiers qui y sont associés, sans pour autant être une fin ?


 [1] Findeli, A. (2015). La recherche-projet en design et la question de la question de recherche : essai de clarification conceptuelle. Sciences du Design, 1, 45-57. https://doi.org/10.3917/sdd.001.0045. Une première communication à ce sujet a été faite à Nîmes en 2005: http://projekt.unimes.fr/files/2014/04/Findeli.2005.Recherche-projet.pdf

[2] Adapté de Voros, J. ‘A Primer on Futures Studies, Foresight and the Use of Scenarios.’, Voir http://thinkingfutures.net/
Le cône original a été théorisé par Henchey, N. (1978) Making Sense of Futures Studies. ‘Alternatives.’ 7 p24–29.
Pour un exemple de scénarisation, voir : Wilkinson, A. (2009) Scenarios Practices: In Search of Theory. ‘ Journal of Futures Studies.’ February 2009, 13(3) p107–114.

 
NAWELLE ZAIDI